La nomination du célèbre avocat pénaliste au Ministère de la Justice suscite l’inquiétude des magistrats, alors que des collectifs féministes demandent déjà sa démission.
« Je ne fais de guerre à personne ». C’est avec ces mots qu’Eric Dupond-Moretti a pris ses fonctions de ministre de la Justice. Pourtant, le plus célèbre avocat de France le sait bien, il est loin de faire l’unanimité. A commencer dans les rangs des professionnels de la justice, qui s’inquiètent de la nomination d’un tel personnage à la Chancellerie. La présidente de l’Union syndicale des magistrats, Céline Parisot, s’est indignée dès l’annonce du gouvernement lundi soir. Elle estime que « nommer une personnalité aussi clivante et qui méprise à ce point les magistrats, c’est une déclaration de guerre à la magistrature ».
En effet, le torchon brûle depuis longtemps entre les magistrats et l’avocat pénaliste. « Que vous n’aimiez les avocats médiatiques, on est quitte, je ne vous aime pas non plus. Et nous ne partirons pas en vacances ensemble au mois de juillet » avait-il prononcé dans l’une de ses plaidoiries. Récemment, il a ciblé le Parquet National Financier, qui l’a mis sur écoute dans le cadre de l’affaire Paul Bismuth visant Nicolas Sarkozy pour corruption et trafic d’influence. Il avait alors dénoncé une « clique de juges qui s’autorisent tout, qui sont les gardiens autoproclamés de la morale publique ». Le ténor du barreau n’hésite pas à dénoncer « la République des juges ».
Eric Dupond-Moretti a toujours défendu une scission entre les magistrats du siège (les juges) et les magistrats du parquet (les procureurs). Il s’est également prononcé pour la suppression de l’Ecole nationale de magistrature. Lors de sa prise de fonction, il a déclaré qu’il « souhaite être le garde des Sceaux qui portera enfin lors d’un Congrès la réforme du parquet tant attendue ». Cela promet des rebondissements.
Le ministre de la Justice ciblé par les féministes
Au delà du monde de la justice, celui qui a plaidé en faveur du frère de Mohamed Merah, de Bertrand Cahuzac ou plus récemment de Patrick Balkany est déjà vivement critiqué dans la société civile, notamment chez les féministes. Si leur cible principale est Gérald Darmanin, accusé de viol et nouveau ministre de l’Intérieur, l’avocat surnommé « Acquitator » n’est pas en reste. Et pour cause, il n’avait fait preuve d’aucune ambiguïté lors des mouvements #BalanceTonPorc et #MeToo, appréciant la libération de la parole mais estimant qu’il y avait « aussi des follasses qui racontent des conneries et engagent l’honneur d’un mec qui ne peut pas se défendre car il est déjà crucifié sur les réseaux sociaux ». Il avait également pris des positions à contre-courant dans la presse à propos de Bertrand Cantat, de DSK, ou encore de Georges Tron qu’il avait défendu et fait acquitter dans une affaire d’accusation de viols.
Ainsi, le collectif Osez le féminisme! vient de lancer une pétition pour exiger les démissions des deux ministres. « Bâtissez votre carrière sur l’acquittement des hommes accusés de viol, vous serez ministre de la Justice! (…) Soyez accusé de viol, vous serez 1er flic de France! » assène le collectif dans un communiqué. Il rajoute que ces nominations « démasquent le masculinisme de la classe politique dirigeante et le mépris envers la parole des victimes et les droits des femmes ».
Dans ce contexte tendu, le nouveau pensionnaire de l’Hôtel de Bourvallais a tenu ce matin à « adresser un message bienveillant à toute la famille judiciaire : magistrats, greffiers, membres des professions réglementées dont je recevrai tous les représentants ». Il assure qu’il sera le « Garde des Sceaux du dialogue » et acceptera la contradiction. En revanche, il prévient que « la justice ne se rend pas dans la rue, ni sur les réseaux sociaux, ni dans les médias ». Le ton est donné.